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ACTUALITE

  LA VERITABLE AFFAIRE MARIE BESNARD  

 

Marie Besnard

 

Le triomphe de l'innocence

 

d'après Jacqueline FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard La force de l'innocence, Robert Laffont, 1985

 

 

Archives privées jfc

Marie Besnard et son avocate, Me Favreau-Colombier, à Bordeaux, en 1954.

 

 

                      "Je veux vous prouver qu'elle est une très bonne personne, bien plus digne d'intérêt que ceux qui l'ont accablée.  Je veux vous faire comprendre qu'elle a été victime d'un mauvais  physique et que les malheurs qui se sont abattus sur elle peuvent, demain, écraser n'importe qui ."

  Marcel Haedrich   Marie Claire:

 

 

 

L'affaire la plus célèbre qui a marqué le vingtième siècle reste celle de Marie Besnard.    Elle a modifié les données de la toxicologie et entraîné des réformes importantes de la procédure pénale.  Ce fut le résultat d'une lutte acharnée de la défense.  Elle doit être mise en relief et sauvée de l'oubli. Par ailleurs, toutes les déformations opérées par ceux qui, volontairement ou non, prétendent y voir plus clair que d'autres, doivent être dénoncées et stigmatisées."

«Mon histoire aurait pu être la vôtre ... », a écrit Marie Besnard dans ses mémoires. On ne dira jamais assez que ce qui est arrivé à cette femme peut arriver n'importe quand, à n'importe qui.

 

 

Le Who's who de l'affaire Besnard

Marie BESNARD, l'accusée.

Mme Louise PINTOU, la dénonciatrices

Auguste MASSIP, le dénonciateur.

Joseph MASSIP, frère du précédent.

Alphonse BARAUDON, débitant.

Mme BARAUSON, son épouse.

Jules TOUSSAINT.

Mme THAUDIÈRE, femme de ménage des BESNARD.

Mme PAPUCHON, amie d'enfance de

Marie BESNARD.

Mlle MECHAUD, collègue de Mme PINTOU.

Mme Pascaline VÉRITÉ née ANTIGNY.

Guy RAT, domestique des BESNARD.

CHEDOZEAU, domestique des BESNARD.

NAULLEAU, domestique des BESNARD.

Alfred DIETZ, prisonnier allemand affecté comme domestique des BESNARD

Célestin LANDRE, domestique puis fermier de Marie BESNARD.

M. CUAU, fermier des BESNARD.

Mme CUAU, son épouse.

M.   CADUC, père de Mme CUAU.

M. GEFFARD.

Mme GEFFARD.

M.   DUZAC, débitant.

Mme DUZAC.

Mme ROSSIGNOL.

M.   MORIN, entrepreneur de monuments funéraires.

M.   MARTIN (ancien habitant de Loudun).

M.   et Mme MARTIN (d'Étroussat) cousins de Marie BESNARD

M.   et Mme DAVAILLAUD (de SaintPierre-de-Maillé), cousins de Marie BESNARD

M.   MECHEL, garagiste.

M.   le Docteur GALLOIS.

M.   le Docteur CHAUVENET.

M.   le Docteur DELAROCHE.

M.   NOCQUET, commissaire de police.

M.   NORMAND, inspecteur de police.

M.   GOUARNE, commissaire de police.

 

Les médecins légistes

Dr GUILLON.

Dr SÉTA.

Professeur PIÉDELIÈVRE.

Professeur L'ÉPÉE.

 

Les experts de l'accusation

M.   BÉROUD, expert à Marseille.

M.   MÉDAILLE, son adjoint.

M.  FABRE

M.   KHON-ABREST

M.  GRIFFON

M.  LEMOIGNE

M.  TRUHAUT

M.  SAVEL

M.  VITRE.

 

Les contre-experts

M. SCHUSTER.

M. PERPEROT.

M.   LE PEINTRE.

M. OLLIVIER.

M. KEILLING.

 

Les chercheurs

M.   TRUFFERT.

M.   BASTISSE

 

Les psychiatres

M.   LAIGNEL-LAVASTINE.

M.   BEAUSSART.

M. CEILLIER.

 

L'expert en écriture

M. LOCARD.

 

Ministère public

M.   L'avocat général GIRAULT, Poitiers 1952.

M.   l'avocat général STECK, Bordeaux 1954.

M.   le procureur général de ROBERT, Bordeaux 1961.

M. l'avocat  général     GUILLEMIN, Bordeaux 1961.

 

MM. les Présidents des cours d'assises :

M. le conseiller FAVARD, cour d'assises de Poitiers 1952.

M.   le conseiller de POURQUERY de BOISSERIN, cour d'assises de Bordeaux 1954.

M.   le conseiller Nussy SAINT-SAENS, cour d'assises de Bordeaux 1961.

 

Les parties civiles

M. Charles BESNARD.

Mme Marie-Charlotte BESNARD, veuve GAUNORD.

 

Les avocats des parties civiles

Maître Roger ADOLPHE-LACAN, avocat à la cour de Paris (Procès de Poitiers).

Maître Paul de CAUNES, avocat à la cour de Bordeaux (Procès de Bordeaux).

 

Les avocats de Marie Besnard :

Maître Albert GAUTRAT, avocat à la cour de Paris.

Maître René HAYOT, avocat à la cour de Paris.

Maître Henry du CLUZEAU, avocat à la cour de Poitiers.

Maître Jacqueline FAVREAUCOLOMBIER, avocat à la cour de Bordeaux(Procès de Bordeaux).

 

 

 

 

 

 "Le 5 octobre 1947, faubourg Porte-de-Mirebeau à Loudun, un long cri retentit dans la nuit.

Léon Besnard vient de perdre la vie.  Marie Besnard, qui hurle et pleure, va bientôt perdre la liberté, et la paix, pour longtemps.

Eux, leurs parents, leurs amis et ceux qui vont devenir des ennemis, tous ces gens jusque là obscurs, comme il y en a tant d'autres, vont se trouver pendant de longues années sous le projecteur de l'actualité.  Cinquante ans et plus d'une vie banale, sans aventure, sans histoire, consacrée au travail, ne laissaient pas prévoir le destin judiciaire d'une exceptionnelle dimension qui fut celui de Marie Besnard."

 

 

 

 

Marie Besnard

 

Marie Besnard a vu le jour le 15 août 1896, à Saint-Pierre-de-Maillé dans le département de la Vienne.  Fille unique, elle fut pensionnaire à Saint-Angle-sur-Anglin. Après avoir appris à écrire, elle retourna à la maison et termina sa scolarité à l'école libre de son village natal.   

En 1914, alors qu'elle a dix-huit ans, elle s'éprend d'Auguste Antigny, un cousin germain du côté maternel.  Il n'a pas d'argent, il est malade. Tellement malade qu'en cette cruciale année,  l'armée le refuse. Sa famille ne souhaite pas une union compte tenu de l'état de morbidité d'Antigny, mais Marie décide envers et contre tous d'épouser son cousin tant aimé. C'est ainsi un mariage d'amour qui se célèbre le 12 avril 1920.  La mariée en parlera toujours avec de l'émotion dans la voix. Elle a alors près de vingt-quatre ans, le marié est de deux ans son cadet, mais déjà la maladie accuses ses traits et e fait paraître beaucoup plus vieux que son âge. Dans les années 25, la tuberculose ne laissait guère d'espoir.  On  «s'en allait de la poitrine» et ce qui devait arriver arriva : le 11 juillet 1927, Marie est veuve avec un pauvre héritage de 7240 francs. C'est un immense chagrin et sa prime jeunesse envolée.   

 

Des proches voudraient l'arracher à sa tristesse. Sa cousine Pascaline Vérité qui habite Loudun lui présente Léon Besnard. Loudun, comme toutes les petites villes de province, n'est pas tendre aux jeunes femmes comme Marie . On l'épie derrière les rideaux de dentelles ajourés et on cancane parce que la pauvre jeune veuve de trente-deux ans a été au cirque avec de Léon Besnard qui a trente-six ans et est connu pour être un  «vieux séducteur» à l'échelle de la commune. Ainsi, le 12 août 1928, Marie Antigny se remarie et devient Marie Besnard .  Léon travaille chez son père un bourrelier mais n'a pas de salaire mensuel.  Le vieux Marcelin Besnard n'apprécie pas que son fils ait la charge d'un ménage et une grande partie de son humeur rugueuse se tourne contre cette belle fille qu'il n'a pas souhaitée.  Mais Marie fait preuve de soumission, de discrétion et  d'égalité d'humeur.  Le père et le fils ne s'entendent pas : au cours des visites  familiales, ils  manquent d'en venir aux mains.  Loudun dit entendre l'écho des voix lors des disputes chez les Besnard.  On dira même que Léon a failli étrangler son père. Il y a aussi Lucie, veuve Bodin, la sœur de Léon, qui voue une haine définitive à son frère.  Un jour on la retrouvera pendue dans son escalier, et les imprécations de Léon voulant étrangler ses proches ne manqueront pas d'être relatées par les voisins curieux et bien informés. Mais, personne ne s'apitoie en vérité sur le sort de Lucie et certains iront même jusqu'à dire que  «la Lucie» ne l'aurait pas volé. 

 

A ce climat familial délétère, nourricier de toutes les rumeurs, va s'ajouter la poids de la fatalité. Car,  il vrai que l'on va beaucoup mourir dans la famille Besnard. Au point que l'entrepreneur des pompes funèbres de la Commune dira un jour en témoignant :  " Les Besnard étaient mes meilleurs clients". 

 

 

Les  «chers défunts»

 

 

Le 22 août 1938, Marie Labrèche, veuve Lecomte, sœur de la grand-mère de Léon, âgée de quatre vingt-six ans, meurt laissant  un héritage de 60000 francs.  Pour l'époque, c'est une somme considérable.  Mais elle ne rapporte rien aux Besnard :   la vieille femme a  déshérité Léon in extremis selon toute vraissemblance sous l'influence de Lucie.  Il faudra toutes la patience et les supplications de Marie pour que Léon accepte de mauvais gré de se  rendre aux obsèques .

 

Moins d'un an plus tard, le 14 juillet 1939, le vieil ami de Léon Besnard, Toussaint Rivet s'éteint. Les Besnard et les Rivet se fréquentaient. Marie était même devenue le réconfort de Blanche Rivet, dont le mari était déjà condamné par la tuberculose.

 

Le 14 mai 1940, c'est le père de Marie, Pierre Davaillaud, qui meurt d'une congestion cérébrale. Avec la mort de son père, Marie, à quarante quatre ans, hérite en indivision avec sa mère de la ferme, la Barquinotterie, et de vingt hectares de terres aux Liboureaux.  Marie recueille sa mère, désormais seule,  chez elle. Tout Loudun peut la voir tous les matins accompagner la vieille dame à l'église Saint-Pierre. 

 

Le 2 septembre 1940, ce sont les obsèques de Louise Labrèche, veuve Gouin, la grand mère de Léon et de Lucie, morte à quatre- vingt-douze ans. Marie est encore en deuil de son père lorsqu'elle y assiste.

Deux mois plus tard, c'est Marcelin, le père de Léon, cinquante-huit ans, qui décède. Il est lui beaucoup plus jeune, et là, les commérages parlent de champignons et d'un bizarre embarras gastrique qui aurait pu provoquer ce décès...

  

Le 16 janvier 1941, la mère des enfants Besnard, Marie-Louise Gouin, veuve Marcellin Besnard,  s'éteint, à soixante-neuf ans, trois mois après son conjoint, assistée par le docteur Delaroche qui constate une congestion pulmonaire double.  Léon refuse toute rencontre avec sa sœur.  Cette dernière, de son côté,  prévient que pas un drap, pas une petite cuiller, pas une chaise n'iront à «la Marie». Puis, deux mois plus tard, Lucie se suicide par pendaison, le 27 mars 1941. Loudun bruit alors de fantasmes : caché sous l'escalier où on a retrouvé Lucie pendue, il y aurait eu un coffre-fort contenant un magot secret que le père Besnard avait confié de la main à la main à sa fille. La rumeur est en route.

 

Neuf mois plus tard, jour pour jour, le 27 décembre 1941,  une bonne amie de Mme Besnard, la veuve de Toussaint Rivet, s'éteint doucement d'urémie, à l'âge de soixante ans, alors que les Besnard viennent de lui acheter sa maison en rente viagère. Blanche Rivet a rendu l'âme avant le premier versement.  Un testament passé par-devant maître Demeule, notaire, fait de Marie Besnard, depuis le 4 décembre 1940, sa légataire universelle.

 

Pendant trois ans et demi, aucune fatalité ne vient frapper la famille. Mais, les 1er et 9 juillet 1945, à huit jours d'intervalle, deux vieilles cousines recueillies par charité par les Besnard   Pauline et Virginie Lalleron, meurent à l'âge de quatre-vingt-huit et quatre-vingt trois ans.

 

Il y a donc eu huit morts en sept ans. Mais, en 1945, la longévité moyenne accordée aux Français était inférieure à soixante ans et si l'on établit une moyenne de l'âge des défunts de l'entourage de Marie Besnard, force est de constater que l'on vit relativement vieux dans sa famille. Songera-t-on vraiment à une explication rationnelle ?

 

Le 25 octobre 1947, c'est Léon Besnard qui meurt . Avec Marie et un ami, M. Barodon, ils avaient dîné à la ferme des Liboureaux, la propriété de Marie. C'est Marie qui avait préparé le dîner «à la fortune du pot».  Ni Barodon ni elle ne s'en trouveront incommodés, mais Léon, revenu à Loudun,  s'alite. Marie appelle à son chevet le docteur Gallois qui diagnostique une grave crise d'urémie. Le médecin demande l'assistance du docteur Chauvenet. En dépit de la présence à son chevet des deux médecins, Léon expire.

 

Les deux accusateurs qui ont lancé le procès : Louise Pintou et Auguste Massip

 

Madame Pintou est alors depuis longtemps entrée dans le ménage.  Cette dame qui travaille aux Postes, est devenue la bonne amie de Léon et pour mieux cacher son jeux s'est efforcée de se concilier les bonnes grâces de Marie qui lui a cédé gracieusement la maison de Lucie, dont Léon et elle ont hérité. Cette maison est voisine de celle des Besnard, et tous les soirs l'amie du ménage fait «sa petite visite». 

 

Un autre personnage de l'affaire,Auguste Massip, entre alors en scène.  Le 17 octobre 1948, le château de Montpensier, propriété d'Auguste Massip, est la proie des flammes. D'aucuns prétendent que Marie Besnard aurait commis l'imprudence de «demander au ciel qu'un malheur arrive aux Massip avant le premier anniversaire de la mort de son pauvre Léon» (25 octobre 1947: mort de Léon - 17 octobre 1948: incendie). Auguste Massip, qui est un maniaque épistolaire, fait une plainte officielle. Il accuse Marie Besnard d'être sorcière et d'avoir fait ainsi brûler son château à une centaine de kilomètres de là, alors qu'elle n'avait pas quitté Loudun, …tant était puissant son pouvoir maléfique...  L'inspecteur Normand, adjoint du commissaire Nocquet à la police judiciaire de Limoges, entreprennent une enquête.  Il doit vite clôturer son enquête en découvrant que l'imprudence des enfants du fermier avec une bougie avait provoqué l'incendie que la rumeur publique avait voulu attribuer contre toute vraisemblance à Marie Besnard. Massip intenta alors un procès à l'Etat en soutenant – sans rire -  que c'était l'Etat qui, en versant des allocations familiales au père, avait contribué à l'éclosion de la mauvaise graine dont il avait pâti.  Il a, bien entendu, perdu son procès.

 

Lorsque, le 16 janvier 1949, pendant une redoutable épidémie de grippe, Marie-Louise Antigny, veuve Davaillaud,  la vieille mère de Marie, meurt , l'atmosphère est irrespirable à   Loudun. 

 

Trois mois après l'incendie du château de Massip, la maison de Lucie Besnard qu'habite Mme Pintou est cambriolée. C'est un cambriolage assez remarquable, puisqu'on n'a rien volé : une porte ouverte... un édredon étalé au milieu du jardin... une bouteille de Butagaz jetée par la fenêtre... Le rapport de l'adjudant de gendarmerie Alcide Langlade et du gendarme Myrtille Fétu est formel: le désordre ressemble davantage à une mise en scène qu'à un cambriolage. En réalité à cette date, Marie a vendu la maison de sa défunte belle-sœur à son domestique Célestin Landré et c'est le nouveau propriétaire qui a fait sommation par huissier Mme Pintou d'avoir à vider les lieux, déclarant une folie vengeresse chez la précédente occupante. Mais les voisins se font accusateurs et incohérents évoquant seulement  "une maison louée par Marie Besnard à une dame qui aurait laissé entendre qu'elle a été cambriolée...

 

C'est alors qu'étrangement, l'inspecteur Normand se décide quant à lui de poursuivre l'enquête sur la présence suspecte d'une bouteille de Butagaz dans un potager et se déplace à l'autre bout de la France, dans les Alpes, où la prétendue victime,  Mme Pintou, est en villégiature pour l'y interroger. Et là Madame Pintou aborde  un tout autre sujet: le plaignant Massip n'a pas raconté d'histoires, Léon lui a bien confié sur son lit de mort que Marie avait versé quelque chose dans son potage.

 

Le juge Roger, qui est un des plus jeunes magistrats de France - il n'a que vingt-cinq ans -  se voit à la veille de sa première affaire d'importance.  Il ordonne une enquête sur le décès de Léon.  Le 11 mai 1949, Léon Besnard est exhumé au cimetière de Loudun. On pratique des prélèvements sur le cadavre. On remplit dix bocaux, semblables à ceux que l'on utilise pour les conserves de petits pois ou de haricots verts, et on les expédie à un expert agréé : le docteur Béroud de Marseille. Le tout se déroule dans la confusion la plus totale: le rapport précise que dix bocaux contenant les larynx, les cheveux, les yeux et mêmes des poils pubiens de Léon Besnard sont envoyés à Marseille.  Mais l'expert Béroud en reçoit onze!  Et il n'en analyse que neuf!

Puis, il envoie un rapport selon lequel les matières organiques contenues dans les bocaux renferment 15 mg d'arsenic (pour 1 kg).

 

Lorsque le 21 juillet, à 7 heures du matin, le commissaire principal Nocquet, de la police judiciaire de Limoges, frappe à la porte de Marie Besnard et  l'arrête, c'est bien un procès criminel, parmi les plus longs et les plus retentissants du siècle, qui va commencer. Ivre de plusieurs années de ragots, la  petite ville de province va se trouver à la première page des journaux du monde entier.

 

Après Léon, ce sont tous les morts, les «chers défunts» de Marie qui vont partir dans des bocaux pour un voyage improbable vers l'expert Béroud.  Parmi les victimes: son père, sa mère et son premier mari mort depuis vingt-deux ans. On exhumera à Loudun, en 1949, onze morts, on les ré-exhumera en 1952, et enfin, en 1958, on ouvrira au hasard des tombes dont la concession est terminée. Tous contiennent une quantité notable d'arsenic d'après l'expert Béroud..

 

Et ce n'est plus un assassinat qu'on attribue à Marie Besnard, mais treize. Ceux de  :

 

 

1.      Auguste Antigny: c'est le premier mari de Marie Besnard, qui mourut de tuberculose sept ans après son mariage.

 

2.      Marie-Louise Labrèche, veuve Lecomte: la grand-tante de Léon Besnard, morte de vieillesse à quatre-vingt-six ans, le 22 août 1938.

 

3.      Toussaint Rivet: le pâtissier et ami du ménage Besnard, né le 12 novembre 1874, il est,  lui aussi mort de tuberculose au dernier degré, le 14 juillet 1939.

 

4.      Pierre Davaillaud: père de Marie Besnard.  Né en 1862, mort à soixante-dix-huit ans le 14 mai 1940, d'  une congestion cérébrale constatée par le docteur Michel de Saint-Pierre-de-Maillé.

 

5.      Louise Labrèche, veuve Gouin: elle est la grand-mère de Léon Besnard, née le 8 janvier 1848, morte à quatre-vingt-douze ans, le 2 septembre 1940.  Avant les exhumations des toxicologues, elle sera «déplacée» par la famille pour «faire de la place».

 

6.      Marcellin Besnard: père de Léon, né le 18 septembre 1882, mort le 19 novembre 1940.

 

7.      Marie-Louise Gouin, veuve Marcellin Besnard: mère de Léon.  Née le 13 mai 1872, morte à soixante-neuf ans, le 16 janvier 194 1, assistée par le docteur Delaroche qui constate une congestion pulmonaire double.

 

8.      Lucie Besnard, veuve Bodin: sœur de Léon, trouvée pendue dans sa maison par un garde champêtre le 27 mars 1941. Le docteur Delaroche donne le permis d'inhumer et diagnostique le suicide.  Plus tard, on prétendra que Léon aurait pu l'étrangler et transformer le meurtre en pendaison volontaire.

 

9.      Blanche Lebeau, veuve Rivet: femme du pâtissier ami de Léon, elle-même amie intime du ménage Besnard qui vient de lui acheter sa maison en rente viagère.  Née en 1881, morte le 27 décembre 1939, à l'âge de cinquante-huit ans, d'une crise d'urémie diagnostiquée par le docteur Delaroche.

 

10.  Pauline Lalleron: cousine de Marie, recueillie par elle dans sa maison.  Née le 13 décembre 1857, morte à quatre-vingt-huit ans, le 1er  juillet 1945, assistée du docteur Gallois qui constate un affaiblissement général et l'urémie lente des vieillards.

 

11.  Virginie Lalleron: c'est la sœur de la précédente, née le 12 juin 1862, elle n'a jamais quitté sa sœur et la suit à huit jours près dans la tombe, puisqu'elle s'éteint le 9 juillet 1945, à l'âge de quatre-vingt-trois ans.  Le docteur Gallois constate également l'urémie lente des vieillards.

 

12.  Léon Besnard: Second mari de Marie Besnard.  Né en 1892, mort à cinquante-cinq ans le 25 octobre 1947.   Le docteur Gallois parle d'urémie foudroyante.

 

13.  Marie-Louise Antigny, veuve Davaillaud: mère de Marie, qui meurt à un âge imprécis mais très avancé le 16 janvier 1949, au cours d'une épidémie de grippe, assistée par le docteur Gallois qui ne peut que constater que «la machine est usée».

 

 

L'instruction dure deux ans et sept mois. Et le premier procès de Marie Besnard s'ouvre à Poitiers le 20 février 1952.

 

 

1952 - Le premier procès

 

 

Les témoins défilent, pour la plupart inutiles, comme les fossoyeurs de Loudun, Trouillet, Maitre et Rabier qui se bornent à clamer avec des voix sépulcrales «qu'ils ont toujours enterré et déterré à la satisfaction des usagers». Les comparses, les voisins, vont à la barre.  Personne n'apporte un semblant de preuve.  Mais on les écoute à peine. Tout le monde pense que le procès va se jouer sur le résultat des analyses.

 

Indépendamment de l'affirmation de son innocence – qui n'est jamais suffisante en droit français- la défense de Marie Besnard est obligée se s'articuler dans une contestation technique point par point :

 

Or, les contrôles des expériences du docteur Béroud n'ont pas été effectués par des employés de l'Etat, mais par son assistant le docteur Médaille. Or ces deux médecins «spécialisés» ont reçu les prélèvements du malheureux Léon le 13 mai 1949, deux jours après l'exhumation..  Pourtant les directives du docteur Béroud au docteur Médaille datent du 11 mai, jour de l'exhumation. Or, ni Béroud ni Médaille n'étaient au cimetière de Loudun. Et leur mission ne commence que quatre jours plus tard,  le 15 mai date à la quelle Béroud prête serment devant un magistrat de Marseille.

 

Mais il y a plus, outre le nettoyage "fantaisiste" des bocaux, il se trouvait que l'exhumation de Léon Besnard avait été faite 11 mai 1949.  Le juge avait expédié dans une caisse malheureusement non scellée dix bocaux. Il  n'en est arrivé que neuf.  Et tout le monde se troublait dès que l'on abordait la question du  bocal  manquant. Le docteur Béroud commença par répondre, dans une lettre datée du 14 juin, qu'il n'avait pas reçu les cheveux ni le larynx, ce qui était conforme à son  rapport où  il n'était question ni de cheveux ni de larynx Mais quelques mois plus tard, le juge d'instruction, inquiet de cette disparition d'un bocal, ne sachant pas comment conclure le dossier dans ces conditions, écrivit de nouveau au docteur Béroud qui fit alors volte face et  répondit: "Une erreur a probablement été commise, j'ai consulté mes notes et à travers elles, je me suis aperçu qu'on avait mélangé le bocal contenant les cheveux et le larynx avec le contenu d'un autre bocal."

 

Me René Hayot, un autre défenseur de Marie, allait lui démontrer que les méthodes employées par lui n'étaient pas d'une infaillibilité parfaite.  L'appareil de Marsh, selon l'expression de Raspail, n'avait donné à la médecine légale qu'un instrument perfectionné, qui ne pouvait être considéré que comme un procédé et la méthode de Cribier (passage d'hydrogène arsénié sur une bande imprégnée de bichlorure de mercure) demeurait aux yeux de l'Académie passablement discutable. De plus, comment l'expert s'était-il débrouillé pour retrouver un œil intact dans les os blanchis de Virginie Lalleron et une chevelure pesant 6 kg sur un cadavre non déterminé?

 

Le 22 février : l'expert Béroud, seul élément objectif de l'accusation s'effondre à la barre. "Docteur Béroud, vous êtes jugé !" lui crie Me René Hayot.

 Me Albert Gautrat, avocat au barreau de Paris
Me Albert Gautrat, avocat au barreau de Paris
:-"Lesquels de ces tubes contiennent de l'arsenic ?

Le 22 février 1952, Me Albert Gautrat allait confondre l'expert, non par un effet d'audience, mais par une mise à néant de sa méthode et de ses conclusions sans rigueur. Le docteur marseillais Béroud était  très sûr de lui et confortait ses affirmations avec une certaine vantardise avantageuse.  Il avait employé la méthode de Marsh parce qu'elle fait apparaître  sur les éprouvettes un anneau révélant l'existence de substance toxique et avait affirmé que cela ne faisait aucun doute puisque il pouvait les détecter d'un simple regard.  Il va faire moins bonne figure lorsque Me Gautrat lui présentera six tubes de mélange et entamé avec lui le dialogue suivant :

 

-Je me garderai bien, docteur, de douter de votre compétence.  Mais enfin quand vous avez employé la méthode de Marsh qui laisse sur les éprouvettes un cercle de substance toxique, savez-vous qu'avant de conclure à la présence de l'arsenic, il faut d'abord identifier la substance?

-Je l'ai fait, dit le docteur.

 

-Croyez-vous?... vous avez répondu au contraire que votre œil vous suffisait; que vous détectiez cela au regard.  Alors voici six tubes de mélanges avec des traces toxiques.  Je vous pose une question: lesquels de ces tubes contiennent de l'arsenic ?

 


L'Expert Béroud :
- "Je crois que c'est ces deux là…"

 

 

- Je crois que c'est ces deux là…

 

- Je les verse au dossier pour qu'ils soient analysés…J'aime mieux vous le dire tout de suite, aucun n'en contient ce sont tous des anneaux d'antimoine.

 

"Docteur Béroud, vous êtes jugé !" lui crie Me René Hayot.
Béroud s'effondrait non parce qu'il avait été piégé, mais parce que ses analyses étaient pitoyablement catastrophiques

 

Et il n'était pas au bout de ses peines.   Le docteur  Georges Schuster, membre de l'Académie de pharmacie, lui reprocha d'avoir, dans le cadre de la méthode de Marsh, analysé pêle-mêle des débris de matière cervicale, de foie, des ongles et des cheveux, d'avoir rédigé des rapports hâtifs et surtout d'avoir négligé la recherche de présence de plomb puisque l'instruction avait retenu que le poison employé était, aux dires de Mme Pintou, de l'arséniate de plomb et que figuraient au dossier trois boîtes de poudre contre les doryphores presque entièrement composée de ce produit et trouvées chez Marie Besnard. Pis encore, il avait fait des rapports d'analyse de viscères, là où il n'y en avait pas.

 

Toutes ces fautes accumulées, la carence évidente des méthodes d'analyse rendent inévitable une contre-expertise que la défense réclame énergiquement. Le tribunal se rend à cette évidence et l'avocat général demande que cette contre expertise soit effectuée parallèlement à l'audition des témoins.  Me Gautrat arrive cependant à convaincre les magistrats et le procès est renvoyé.

 

Le tribunal désigne le professeur Piédelièvre qui s'entoure des professeurs Kohn-Abrest, Fabre et Griffon.  Ces savants doivent, à la demande de l'avocat général, employer les méthodes de Marsh et de Cribier et remettre leur rapport dans un délai de deux mois.

 

 

1952-1954 : Contre-enquête

 

 

Tandis que  les fossoyeurs fouillent à nouveau  les tombes,  Marie Besnard, retourne à la prison de la Pierre-Levée, à Poitiers. Le juge Roger, qui ne désarme pas et qui entend se procurer un aveu écrit de la culpabilité de celle qui finalement n'a joué qu'un rôle de comparse pendant les quatre jours du procès, a placé deux «moutons» dans la cellule de Marie Besnard, Simone et Gisèle, qui font passer à Marilou, une ancienne compagne de cellule, des billets de Marie au cours des promenades dans la cour.  Marie écrit, d'autant plus que son amie lui avait parlé d'un gang marseillais rocambolesque susceptible de la délivrer les armes à la main.  Ce n'est pas la première fois que Marie Besnard fait preuve d'une naïveté et qu'elle étale une parfaite ignorance des milieux louches.  Déjà avant son arrestation, elle avait fait confiance à un personnage douteux: le détective privé Loccident qui lui avait demandé beaucoup d'argent sous prétexte de lui révéler les auteurs des rumeurs dont elle était l'objet afin de lui permettre de faire un procès.  La «contre enquête» du «privé» s'était terminée par un bien maigre bilan ; une déclaration de Madame Pintou qui affirmait ne répéter que ce que Massip lui avait dit. Les billets échangés entre Marilou et Marie sont interceptés et falsifiés.  Sur l'un d'eux on lit: Je suis suis coupable (sic).  Ce n'est pas l'émotion de l'aveu qui explique cette répétition, mais un grossier grattage qui a transformé ne suis pas.  Marie n'avouera jamais et dans les diverses missives qui passeront entre les mains du professeur Locard chargé de l'expertise graphologique, la main de Marie trace plutôt l'expression très ferme de sa confiance en la «justice de Dieu».

Après l'erreur des expertises, fallait-il décidément ajouter à l'affaire Besnard, un faux ?

 

La province n'est jamais bienveillante, et comme tous les «bons voisins»  sont convoqués et viennent témoigner de la lubricité, de l'avarice et de la méchanceté de Marie, ceux qui possèdent des lettres anonymes s'empressent de les faire parvenir au juge Roger quelquefois même anonymement.

 

A la fin de janvier 1953, les nouveaux experts éliminent six cadavres sur les treize reprochés à Marie: leur état, lors de la deuxième exhumation, rend les analyses trop douteuses.  Toutes les méthodes toxicologiques classiques et modernes ont été utilisées pour rechercher l'arsenic.  Les professeurs Fabre, Kohn-Abrest et Griffon ont scrupuleusement suivi les procédés de Marsh et de Cribier que le docteur Béroud avait employés avec la légèreté qu'on se rappelle. On a introduit des cheveux suspects (ceux prélevés lors de la seconde exhumation) dans une pile atomique, on les a rendus radio-actifs en les bombardant de neutrons et on a mesure l'amplitude de leurs radiations pour détecte l'arsenic.

 

Le 6 mars 1953, la chambre criminelle et la Cour de cassation ordonne l'acheminement vers Paris du dossier des poisons de Loudun. Le 10 juin 1953, la Cour de cassation décide que  Marie Besnard sera jugée non pas à Poitiers, mais devant la Cour d'assises de la Gironde à Bordeaux.  Marie Besnard quitte la prison de la Pierre-Levée et est transférée, à Bordeaux,  à la prison du fort du Hâ.

 

 

1954 – BORDEAUX : le deuxième procès

 

 



Archives privées jfc

La défense à la barre de la Cour d'Assises de Bordeaux. 1954.

 

Le deuxième procès commence le 15 mars 1954. Aux trois avocats du procès de Poitiers, Me Gautrat, Hayot et du Cluzeau, vient s'ajouter Me Favreau-Colombier. 

 

Dès les premières audiences, les frères Massip sont tellement incohérents dans leurs propos que Jean-Marc Théolleyre écrit dans le journal Le Monde du 24 mars 1954 : "On a vu à la barre un extraordinaire personnage verbeux, intarissable, se prenant pour un justicier, pour le fin limier de l'affaire, singeant les intonations de tous les personnages qu'il faisait dialoguer dans son récit.  Glapissant d'une voix de fausset, avec un indéfinissable accent méridional, M. Massip a donné l'impression d'incarner Piédalu* (le bon sens en moins) s'exprimant dans le langage de Bouvard et Pécuchet.  Jamais le ridicule n'atteignit aussi loin dans une enceinte de justice... On l'a cependant renvoyé dans ses foyers, et avec raison.  La justice se doit d'être sérieuse.  Mais ce qui est grave et inquiétant c'est qu'il a fallu attendre six ans pour qu'un magistrat découvrit enfin ce qu'était M. Massip.  Le juge d'instruction n' avait pas pris garde.  Il avait consigné précieusement tout ce que lui disait ce témoin.  Il en avait fait la base de son instruction.  Aujourd'hui l'erreur est enfin réparée..."

 

* personnage comique : un  paysan malin et rouspéteur, inventé par le comédien Ded Rysel, à la mode dans les années 50,  avec les trois films  Piédalu à Paris (1951), Piédalu fait des miracles (1952) et Piédalu député (1953).

 

    Ici commence le véritable procès. 

 

.Le premier des savants qui parait à la barre est le professeur Piédelièvre, chargé de la coordination des nouvelles expertises.  Il fait preuve d'une extrême prudence et déclare qu'«en toute objectivité un examen opéré su un magma de putréfaction, de parties osseuse mélangées avec des pierres et de la terre, ne peut présenter des résultats d'une rigueur absolue».

 

Après lui le doyen Fabre se voit prendre directement à partie par Me Gautrat.

 

Me Gautrat. -Si j'enterrais un chien dans le cimetière de Loudun, pourriez-vous dire, en engageant votre honneur de savant, si ce chien, trois ans plus tard, ne contiendra pas une quantité d'arsenic qu'il ne possédait pas à la mort?

 

Le doyen Fabre. - Je n'en sais rien.

 

Me Gautrat. - Comment voulez-vous que messieurs les jurés le sachent si vous, le savant, n'en savez rien,,, ?

 

Le professeur Piédelièvre, rappelé à la barre, évite de se prononcer sur le problème de la solubilité de l'arsenic.

 

- Nous ne pouvons, dit-il, en médecine légale, donner que des indications générales.  Je le répète: il y a trop d'arsenic dans les débris cadavériques, mais ces débris sont contestables; également il y a trop d'arsenic dans les cheveux, ce qui montre cette fois une absorption massive par voie interne et qui laisse un grand doute.

 

L'éminent savant pèse ses mots.  MM.  Kohn-Abrest et Griffon les pèseront moins.  Le premier a soixante-quatorze ans. Depuis quarante ans, il s'est penché sur la plupart des grandes causes criminelles.  C'est lui qui a élucidé la mort mystérieuse du banquier Lowenstein et qui a débrouillé l'affaire du «mal des ardents» de Pont-Saint-Esprit.  Il travaille dans son propre laboratoire qu'il a installé lui-même à Brunoy, près de Paris et fait chaque année plus de cent cinquante analyses qui comportent chacune plus de vingt manipulations.

 

La défense. -Vous avez trouvé 11,9 mg dans l'analyse d'un prélèvement de côte de Marcelin Besnard, mais dans le rapport ce chiffre est devenu 25 mg.

 

Professeur Kohn-Abrest. - 11 ou 25 mg dans un prélèvement de côte, pour le résultat final, c'est la même chose.

 

   La défense. -Pas pour les jurés...

 

     Le vieux monsieur quitte la barre un peu désemparé.  Le professeur Griffon lui succède :

 

Me Gautrat. -Vous aviez, monsieur Griffon, une mission bien déterminée en 1952.  Nous étions en présence de cadavres anciens et de vestiges cadavériques qui avaient été en contact pendant des années avec de la terre, des minéraux, des végétaux, et dans cette terre se trouvaient 2 à 6 mg d'arsenic au kilogramme.  Si l'on rapporte cette quantité à la masse de terre qui peut entourer une tombe, elle devient fort importante.  Pouvait-elle imprégner les vestiges cadavériques ? Une première analyse a été faite.  On a employé de l'eau distillée.  Le procédé est un peu léger.  Puis une nouvelle expérience a été faite avec de l'eau de pluie.  Mais je constate que dans votre rapport vous avez fait les mêmes expériences que l'on avait faites à Nancy en 1887.  Ne pensez-vous pas que c'était un peu dépassé?  Ignorez-vous donc les travaux récents qui ont été faits par M. Demolon sur la dynamique du sol en 1952?  Je constate que vous n'y avez fait aucune allusion.

 

Professeur Griffon. - Je reconnais que dans certains cas nous n'avons pas indiqué toutes les précisions...

 

Me Gautrat. - Autrefois, monsieur le professeur, les travaux étaient plus minutieusement faits.

 

Professeur Griffon. - Il n'est pas douteux que les mémoires d'il y a quarante ou cinquante et quelques années n'étaient pas présentés sous la même forme qu'aujourd'hui.

 

Me Gautrat. - Il y a une raison.  C'est qu'à cette époque, monsieur Griffon, c'était les patrons qui faisaient eux-mêmes leurs travaux!

 

Me Gautrat évoque ensuite le problème de la solubilité de l'arsenic.  En admettant qu'il y en ait dans la terre du cimetière, il faut, pour qu'il arrive à imprégner les cadavres (il n'y a, dans les prélèvements, que 2 mg au kilo de terre, mais il y a dans le cimetière des tonnes de terre), qu'il puisse être véhiculé par les ruissellements d'eau et l'humidité souterraine.

 

Or les travaux des experts montraient que l'arsenic n'était pas soluble, «la terre prendrait plutôt de l'arsenic à l'eau, si elle en avait, que l'eau à la terre». Les premiers travaux avaient été effectués avec de l'eau distillée.  Grave erreur de méthode que la défense n'avait pas manqué de relever.  On refit donc les mêmes travaux avec l'eau du pluviomètre de Montsouris.

 

Le professeur Griffon conclut à l'absence d'arsenic dans cette eau. Le professeur Le Peintre, ingénieur hydrologue de la préfecture de la Seine, en vint à des conclusions contraires.

 

Puis c'est l'audition de trois contre-experts: MM. Marcel Le Peintre, ingénieur des Eaux de la Ville de Paris, le docteur Henri Ollivier, professeur de médecine, et M. Jean Kelling, professeur à l'Institut agronomique.

 

Sur un tableau noir de collège, M. Le Peintre démontre que les calculs du professeur Griffon sont complètement faux.

 

Le professeur Ollivier fait une déposition capitale.  Il prétend que les expériences des experts sont stériles.  Une éprouvette de terre prélevée en vue d'une expérience de laboratoire n'a à ses yeux rien à voir avec la terre des cimetières où grouille un milieu vivant rempli de larves, de vers et de microbes. 

 

Il conclut  :

- La toxicologie doit reconnaître et accepter ses limites, les renseignements qu'elle fournit aux médecins légistes perdant leur rigueur scientifique et devant être interprétés avec prudence.

 

Enfin arrive la déposition du troisième «contre-expert», le professeur Kelling, le 29 mars. Celui-ci est tellement convaincant, lorsqu'il s'étonne de l'incroyable désuétude des méthodes employées, que l'avocat général Steck n'hésite pas à faire part à l'assistance de l'angoisse qu'il ressent à l'audition du savant. Il l'est d'autant plus lorsqu'il reçoit un appel téléphonique du parquet de la Seine qui lui révèle qu'un savant le professeur Truffert, s'est livré à une série d'expériences complètes, et a découvert des éléments capitaux pour le procès.

 

Le 1er avril 1954,   le professeur Truffert est entendu à la demande de  l'accusation. Coup de théâtre ! Après avoir décrit en détail ses diverses expériences, il déclare

-"On ne peut plus affirmer que sil on découvre de l'arsenic dans les cheveux d'un cadavre après lavage, il y a été introduit de son vivant."

 

Il est maintenant dit d'une manière limpide et sans équivoque que les experts ont négligé la bactériologie, la minéralogie, la biologie et l'étude des réactions dues à la putréfaction cadavérique et aux imprégnations du sol. 

 

12 avril 1954, Marie Besnard sort de la prison du Fort du Hâ entourée de deux de ses avocats, Me J. Favreau-Colombier et Me René Hayot. Photo Archives jfc

12 avril 1954, Marie Besnard sort de la prison du Fort du Hâ entourée de deux de ses avocats, Me J. Favreau-Colombier et Me René Hayot.

 

Trois nouveaux experts doivent être nommés et se voient attribuer un délai de trois mois pour ajouter leurs conclusions à celles de leurs précédents confrères.  Les trois nouveaux savants sont MM.  Albert Demolon, physicien, Paul Lebeau, chimiste et Maurice Javillier, biologiste.

 

Et le procès, une fois de plus, est reporté comme il le fut en 1952.  Il y a cependant une énorme différence.  Marie Besnard est mise en liberté provisoire.  On lui demande une caution de un million deux cent mille francs que Charles Trenet s'offre avec insistance à verser.  Marie refuse bien qu'elle ne dispose pas d'une telle somme. Tout ce qui vient de Léon Besnard est placé sous séquestre et elle ne peut  vendre se propres biens du jour au lendemain. Des amis et des cousins de l'Allier réunissent péniblement deux cent mille francs, montant auquel la Cour réduira la caution. Marie Besnard sort de prison le 12 avril et  retrouve sa maison de Loudun

 

 

1961 – BORDEAUX : Le troisième procès et l'acquittement

 

 

Le temps judiciaire ignore les calendriers. Les trois mois impartis aux nouveaux experts vont durer sept ans. 

 

La quiétude du cimetière de Loudun est à nouveau troublée.  En juin 1958, de nouvelles exhumations ont lieu.  On étiquette les nouveaux bocaux.- «cadavres témoins» ou «cadavres cobayes».  Ce sont des prélèvements anonymes effectués sur de pauvres tombes abandonnées.

 

 Marie Besnard et son avocate Me J. Favreau-Colombie. Photo Archives jfc

1961, Marie Besnard sort libre du Palais de Justice de Bordeaux.

 

Le 10 juin 1961, le juge d'instruction Gaston convoque Marie Besnard à Poitiers pour lui montrer les plans du cimetière de Loudun établi par les géomètres.

 

Le 17 juillet suivant, les super-experts ont enfin déposé leur rapport.  Il ne s'agit plus des trois membres de l'Académie nommés en 1954 à Bordeaux.  Durant les six années écoulées des remplacements ont eu lieu et le rapport final est signé MM.  Lemoigne, Savel et Truhaut.  Il compte trois cents pages. Des treize cadavres imputés en 1952 à Marie, six avaient été éliminés après les expertises de 1954.  Sur les sept suspects qui restaient, le nouveau rapport n'en retient qu'un à cause des doses massives d'arsenic qu'il recèle (100 mg dans le bassin, c'est-à-dire dix fois la dose mortelle), c'est celui de la mère de Marie.

 

Le troisième procès semble recommencer comme il s'était terminé,  sept ans plus tôt. Les mêms acteurs ou presque se retrouvent dans la même salle.  Le jury lui n'est pas le même : cette fois, il n'est composé que par des hommes (il y avait une seule femme en 1952 et deux en 1954).

 

 Le 27 novembre, c'est au tour du professeur Kohn-Abrest, vieux savant de 81 ans.  Me René Hayot se lève avant que le jury se laisse impressionner par l'autorité d'un tel témoin, et puisque ce dernier a parlé de chiffres et de rigueur scientifique, le défenseur de Marie, qui connaît parfaitement les rapports, passe à l'attaque, en lui révélant que ses chiffres ont été modifiés :

 

-Nous sommes dans une cour de justice où l'on ne peut pas jongler avec des chiffres.  Pour le résidu pâteux prélevé dans le cercueil de Mme Davaillaud on trouve trois analyses qui donnent trois résultats différents: 16, 32 et 48 mg.  Or quel chiffre lisons-nous sur le rapport général? 90 mg.  Pour faire la moyenne, on a simplement additionné les trois résultats.  Il y a même un second rapport où l'on trouve 160.  Voilà, messieurs les jurés, ce qu'on appelle des pièces à conviction d'une rigueur scientifique.

 

La salle se fait houleuse, la partie civile intervient et demande au professeur de préciser qu'il a bien examiné les cheveux de Léon Besnard sur lesquels il a basé ses déductions.

 

Me Gautrat intervient à son tour:

-Oui, parlons-en, des cheveux de Léon Besnard.  Lorsque les prélèvements ont été faits au cimetière de Loudun, sous le contrôle du professeur Piédelièvre, ce dernier dit dans son procès-verbal qu'il a enfermé dans un bocal: du cuir chevelu et des poils de la poitrine et du pubis.  Pas question de cheveux.  Le 3 avril 1952, procès-verbal de l'ouverture du bocal.  Il n'est toujours pas question de cheveux.  Des semaines se passent, on dresse le tableau général des quantités d'arsenic relevées dans les prétendues victimes et, là, on voit apparaître soudain des cheveux de Léon Besnard.  

"Alors si, en matière criminelle, on ne doit pas tenir compte des procès-verbaux, s'il n'y a plus aucune garantie judiciaire, qu'on nous le dise.  Quand je m'élève contre ce procédé, messieurs de la Cour, c'est votre existence autant que la mienne que je défends.  C'est au nom de la Justice tout entière que je parle!»

 

Le professeur répond que par cuir chevelu, on désigne souvent les cheveux. Mais il concède à la défense que s'il n'y avait eu que les cheveux dans cette affaire, il n'aurait pas conclu comme il l'a fait, et en tout cas pas voulu prendre le risque d'une condamnation sur l'arsenic trouvé dans les cheveux seuls.   Le président honoraire de la Société des experts-chimistes de France reconnaît qu'il était ailleurs qu'à Loudun en 1952. Tumulte dans la salle.  L'audience est suspendue.

 

 

Le 29 novembre, il ne reste plus qu'à entendre monsieur Bastisse, pour mettre fin aux discussions scientifiques. Il est maître des recherches au Centre national de la recherche agronomique.  " C'est un grand savant » déclare à son sujet Monsieur Lemoigne qui a voulu qu'il soit cité.

 

Monsieur Bastisse est allé d'analyse en analyse des sables de la région. Pour faire comprendre à la cour et aux jurés comment les sables peuvent fournir de l'arsenic, monsieur Bastisse passe au tableau qu'il couvre de dessins, de plans et de chiffres.  Son langage scientifique cristallise l'attention des savants qui sont dans la salle. Le corps de Léon Besnard, comme celui des autres défunts, dit-il, dans sa maçonnerie, est en présence de sable et de ciment.  Il y a au moins 50 grammes d'arsenic   Monsieur Bastisse lance en terminant: « Vous avez enterré vos morts dans une réserve d'arsenic . »« A propos de Marie Besnard, depuis plusieurs années, j'avais des doutes.  Maintenant j'ai une certitude.  … Je ne serais pas là sans ça. Je libère ma conscience :  Je considère que cette dame est innocente."

 

Le 4 décembre, Mme Pintou apparaît.: La grande accusatrice de Marie Besnard âgée de soixante-quatorze ans a vieilli . Ayant déposé sous la foi du serment, elle ne peut se dédire devant une cour d'assises Elle a peaufiné son rôle. Elle l'a appris par cœur et a choisit d'en rajouter. «L'accusatrice de Loudun a été plus bavarde qu'il y a treize ans», titre la France du 4 décembre.

 

Mais la première question va la faire trébucher. Me du Cluzeau attaque la postière sur un point extrêmement précis: A-t-elle rompu avec Marie Besnard après la mort de Léon, comme elle le prétend ? Mme Pintou affirme que oui.  Les défenseurs produisent alors une lettre adressée à Marie Besnard deux ans après la mort du «pauvre M. Léon». Mme Pintou se trouble à peine et affirme que ce n'est qu'un détail.  Elle jure maintenant de dire toute la vérité.

 

Le président la prend alors directement à partie et lui demande:

 

-Pourquoi vous êtes-vous rétractée devant les gendarmes après les déclarations de M. Massip?

 

Mme Pintou. -Parce que les Massip, surtout l'ainé, étaient des hurluberlus, ils étaient peut-être allés un peu trop vite.

 

Massip l'ainé n'est plus là pour la contredire, il est mort à Tanger comme un véritable héros des romans policiers qu'il affectionnait et son corps a été ramené en France le 14 juin 1961.

 

Le 9 décembre la parole est à Monsieur le procureur général pour son réquisitoire. Mais décidément de l'accusation infondée lancée contre Marie Besnard, rien ne reste débout.

 


12 avril 1954, Marie Besnard sort de la prison du Fort du Hâ entourée de deux de ses avocats Me Hayot et Me J. Favreau-Colombier

12 décembre 1961 : Marie Besnard est acquittée.

 

Après les plaidoiries des avocats, le 12 décembre 1961, Marie Besnard est triomphalement acquittée par les jurés de la Cour d'Assises de la Gironde.

 

 

 

Le calvaire de Marie Besnard aura duré douze ans.  Marie Besnard a perdu des années de liberté, ses biens personnels (et elle en avait sans être tentée par ceux des autres ... ). Nul ne l'a indemnisée, ni les dénonciateurs, ni l'Etat. L'acquittement survenu, Massip était mort, Mme Pintou dont il avait dit qu'il répétait les propos, était insolvable. Aucune loi ne permettait une demande de réparation à l'Etat. 

 (c) Bertrand FAVREAU (1985)
d'après Jacqueline FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard La force de l'innocence Robert Laffont.

 

 

 

Pour en savoir plus :

 

 Jacqueline FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard La force de l'innocence Robert Laffont, 1985

 Jacqueline FAVREAU-COLOMBIER, Marie Besnard La force de l'innocence, France Loisirs 1986

 Jacqueline FAVREAU-COLOMBIER,   Marie Besnard, le procès du siècle

Bibliothèque historique Privat Toulouse Privat, 1999