Anniversaire
1957-2007
25 mars
1987, 18 heures *
Le Traité de Rome
Quand tout semblait
perdu…
-
«Rome s'est moquée de
la pluie lundi dernier à 18
heures. [...] Sous la statue équestre de Marc-Aurèle [...], les gens sont venus
en foule pour voir les dirigeants de la «petite Europe» descendre de leurs voitures
ruisselantes et entrer dans le grand palais [du Capitole]. Les autorités
avaient tout fait pour que la date du 25
mars ne passe pas inaperçue. Les
enfants avaient congé, les «carabinieri» étaient là. La foule bariolée se
cachait sans mauvaise humeur aucune sous les parapluies. Elle connaissait
l'importance de la journée: des affiches et des tracts couvraient murs et
trottoirs et saluaient la naissance d'une nouvelle Europe.» (Gazette de Lausanne,
30-31 mars 1957)
* Cet article
est paru dans le journal SUD-OUEST Dimanche
daté du 25 mars 2007
Et puis, il y avait eu la
déclaration du 9 mai 1950. Premier espoir, premier miracle : à la réception
du projet de Jean Monnet, rédigé un dimanche d’avril à Montfort l’Amaury,
Robert Schuman avait simplement répondu « Je marche ». La
déclaration du Salon de l’Horloge du Quai d'Orsay (qui porte depuis 1990 le
nom de Robert Schuman) avait enflammé les esprits. « La paix » -
c’étaient les deux premiers mots- la réconciliation avec l’Allemagne ne
cachaient pas le grand dessein : pour Jean Monnet, il s'agissait bien du
« commencement de l’Europe ». Lorsque la CECA voit officiellement
le jour par le traité de Paris du 8 avril 1951, les
"fonctionnalistes" (adeptes de la méthode de l’intégration
européenne progressive par secteurs économiques) semblent l’avoir emporté sur
les "institutionnalistes" (qui veulent en priorité mettre en place
des institutions). Mais le même conflit, toujours recommencé, plane déjà sur
les échéances futures. Peut être par excès de
précipitation, tenta-t-on alors d’aller plus loin. Jusqu’à une intégration
militaire et politique. Car Monnet avait une seconde idée. Et il l’a soufflée
à son ami René Pleven. Nul n'en doutait, comme il y avait eu le plan Schuman,
il y aurait le plan Pleven. En d’autres termes la Communauté européenne de
Défense, qui supposait une organisation politique. Le traité fut bien signé.
Mais rejeté par le parlement français, à l'été 1954. La construction
européenne était vouée à la fatalité des périodes de latence et des instants
de relance. Avec le refus de ratification de
la France, tous semblait inexorablement perdu, le 1er septembre
1954. Pourtant, quelques jours après l’échec de la CED, à Bruxelles et La
Haye, des hommes ne renoncent pas. Les ministres du Benelux, emmenés par Paul-Henri Spaak, relancent un plan
d’élargissement et d’intégration de la communauté charbon-acier. En fait, ils
se bornent à repartir des études techniques accomplies pour la CED. Ils ne
parlent plus d'"intégration" mais de "construction
"européenne". A la Haye, le 23 avril 1955, sans tenir compte de la
France de l’Allemagne et de l’Italie, ils ajoutent à leur mémorandum, l’idée
d’un marché commun façon Benelux entre les six. Il ne fallait plus qu’un miracle.
Il eut lieu à Messine, un mois plus tard. Là encore tout était bien mal
parti. Les 1er et 2 juin 1955, deux jours de négociations ne
donnèrent rien. Et puis, on convint d’une ultime réunion. Celle de la
dernière chance. Non prévue initialement, elle fut fixée à Taormine. A deux
heures du matin, sous l’effet du printemps sicilien, des ballets de Rome dans
le théâtre grec offrant dans son échancrure les fumerolles de l'Etna. Au petit
matin, dans les salons de l’Hôtel San Domenio de Tormine : le fameux
communiqué de « Messine » était prêt. Il consacrait l’instauration
future du « Marché commun ». 25 mars
1957. 18 heures. Qui l’eut crut, trois ans plus tôt, après l’échec de la CED ?
Sur le Capitole à Rome, dans la salle des Horaces et des Curiaces, douze
hommes représentant six pays, assis côte à côte, le long d’une tribune, au
pied des fresques du Cavalier
d'Arpino, représentant l’un des mythe fondateur de la Rome
antique, apposent tour à tour leur signature au bas des traités créant
la Communauté Economique européenne et la communauté de l’Energie atomique.
Belges, Français et Allemands surplombés par les Curiaces, Italiens,
Luxembourgeois et Néerlandais dominés par les Horaces. Parmi eux, le ministre
français des affaires étrangère, Christian Pineau et son jeune secrétaire
d’Etat, Maurice Faure, 35 ans depuis deux mois, aujourd'hui le seul
survivant. 18 heures ! L’heure – celle de la déclaration du 9 mai 1950 -
n’est pas neutre. Comme si, après l’échec de l’organisation politique, les
« fonctionnalistes » avaient tenu à rappeler que leur heure sonnait
à nouveau. Avant de lever son stylo pour
signer, Christian Pineau déclarait solennellement : « le 25 mars 1957 constituera une des plus importantes dates de
l’histoire de notre continent », ajoutant qu’il s’agissait de « l'ébauche de la grande Europe qui
constitue notre objectif final ». Le « Marché Commun » et
l’Euratom, ainsi livrés à la ratification des Etats depuis Rome ne
concernaient pas que l’Europe des marchands et du nucléaire. Ils étaient une
dynamique. : "Déterminés à établir les fondements d’une union sans cesse
plus étroite entre les peuples européens », scandait le préambule, du au
bonheur de plume de Jean-François Deniau. Avant son entrée en vigueur, le 1er
janvier 1958, la France le ratifiait par une majorité que n'avait pas connue
le traité CECA. Au-delà des difficultés de l'Euratom, le "Traité de
Rome" allait devenir un mythe. Au point que tous les demains devaient
mener à Rome. En 2004, les Six y retournent, accompagnés cette fois de 19
autres pays qui, depuis 1957, les ont tour à tour rejoints. Pour en finir
avec les « petits pas » des "fonctionnalistes", le 29
octobre 2004, ils signent un nouveau "traité de Rome", créant une
organisation politique ...Perpetuum
mobile. "L'Europe n’existera pas parce qu’elle n'a pas de
message" a dit un jour André
Malraux. Le 25 mars 1957, sur le Capitole, elle en avait lancé un : de crises
en relances, ne jamais renoncer. Bertrand FAVREAU |
|||